Stéphane Dion vu par Vincent Marissal

Written by  //  September 22, 2007  //  Canada, Politics  //  Comments Off on Stéphane Dion vu par Vincent Marissal

22 September 2007
Un chef isolé, un parti en déroute
Vincent Marissal La Presse

Depuis le temps qu’il essaye de dérider un peu le très sérieux Stéphane Dion, Jean-René «Infoman» Dufort a failli s’étouffer, mercredi soir, en l’entendant dire à Céline Galipeau qu’il était prêt à faire la tournée des émissions de variétés pour se faire connaître des Québécois.
«Il m’en veut encore parce que j’ai déjà montré, il y a des années, l’intérieur de son auto, raconte M. Dufort. Il m’en fait encore le reproche, et maintenant il veut faire les émissions de variétés?»
M. Dufort n’est pas le seul à avoir des doutes sur la soudaine conversion de Stéphane Dion en Monsieur People. Les journalistes politiques qui le suivent depuis des années y ont vu le geste de désespoir d’un chef en panique. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette nouvelle démarche n’est pas naturelle pour M. Dion. Il admet d’ailleurs qu’il n’a jamais voulu s’abaisser à participer à autre chose qu’à des débats intellectuels; mais, puisqu’il le faut, il ira maintenant dans les émissions de variétés.
M. Dion a réalisé cette semaine, après plus de 10 ans en politique, qu’il a un problème d’image. Mais ce n’est pas sa faute, a-t-il expliqué à Céline Galipeau; c’est parce que les Québécois ont une image caricaturale de sa personne.
Ses députés et principaux organisateurs au Québec ont des doutes sur les chances de réussite de l’opération «variétés», mais ils ont tout de même apprécié l’acte d’humilité de leur chef. Depuis le temps qu’ils lui disent qu’il a un problème d’image, ils ont été agréablement surpris de l’entendre le reconnaître aussi ouvertement.
«Qu’il admette ça, c’est déjà énorme pour lui; il a dû faire un gros effort d’humilité. Ce qu’il ne dit pas, par contre, c’est que ça fait 10 ans qu’il est en politique et qu’il est donc largement responsable de l’image qu’il projette», analyse un stratège libéral qui tient à préserver l’anonymat, comme la majorité des libéraux qui parlent de leur chef ces jours-ci. Quand un chef a déjà un genou à terre, ce n’est pas très chic de lui donner un coup de pied dans les côtes.
«M. Dion persiste à dire que le problème, c’est que les Québécois ne l’écoutent pas, alors que le vrai problème, c’est que lui n’écoute personne, à commencer par son propre parti», critique un candidat battu aux dernières élections.
Dire que les relations entre Stéphane Dion et ses troupes au Québec sont mauvaises n’est pas tout à fait exact. En fait, il n’y a à peu près pas de relations, point. Entre Stéphane Dion et l’organisation québécoise se dresse un mur de paranoïa, de méfiance et de doutes malsains, et ce, depuis l’élection du nouveau chef, en décembre dernier. Entre Dion et la machine libérale au Québec, le lien de confiance n’a jamais existé.
Élu chef malgré le Québec

M. Dion a été élu chef malgré le Québec. La grande majorité de son caucus appuyait un autre candidat, et les militants se sont rangés massivement du côté de Michael Ignatieff, pas de M. Dion.
Pendant la course à la direction, des organisateurs, des députés et des dirigeants du parti lui ont dit en plein visage: «On t’aime bien, Stéphane, mais tu ne peux pas gagner le Québec. Tu n’es pas “vendable” au Québec.»
La plupart des libéraux interrogés cette semaine pensent toujours la même chose. Et les résultats de lundi dans Outremont, Saint-Hyacinthe et Roberval-Lac-Saint-Jean n’ont fait que renforcer leur opinion.
«M. Dion est intègre et il a une force intellectuelle rare en politique; mais il est naïf et il s’entoure mal», résume une source bien placée.
«Stéphane est borné, intransigeant et coupé du monde», tranche un organisateur de Montréal.
Tous les libéraux croisés ces derniers jours sont prêts à vivre avec le chef actuel parce qu’il a gagné le droit de diriger les troupes à la prochaine campagne; mais bien peu se bercent d’illusions quant à leurs chances de reprendre le pouvoir.
Le plus cocasse, c’est que, le jour de l’élection de M. Dion, des libéraux des autres provinces, tout guillerets, affirmaient aux partisans québécois de Michael Ignatieff: «On vous fait un cadeau, on vient de choisir un autre Québécois et vous n’êtes pas contents!»
«Tu parles d’un cadeau, lance un organisateur, dépité. On avait beau essayer de leur expliquer qu’on venait d’élire le pire chef pour le Québec, ils ne comprenaient rien.»
Élu sans l’appui de sa propre province, le nouveau chef libéral s’est coupé de sa base québécoise. Il s’est isolé dans son «bunker» à Ottawa, entouré essentiellement d’anglophones qui ont érigé un mur coupe-feu, de peur d’être infiltrés par des partisans de Michael Ignatieff. La guerre Martin-Chrétien est finie depuis longtemps, mais le climat de méfiance et de paranoïa est bien incrusté au PLC.
Le président de l’aile québécoise du PLC, Robert Fragasso, s’est ainsi rendu compte un jour que ses messages ne se rendaient pas au chef, tellement le mur était étanche. Les rares francophones du bureau de M. Dion, eux, se sont vite aperçus qu’ils n’avaient que des rôles décoratifs. Même Marc Lavigne, l’organisateur en chef de Stéphane Dion au Québec pendant la course à la direction a, de guerre lasse, abandonné ses fonctions à Ottawa. Il y a quelques jours, un autre francophone, le conseiller Robert Asselin, a lui aussi fait ses boîtes.
Un parti déconnecté

Réunie jeudi soir pour faire le point après les partielles désastreuses, la direction de l’aile québécoise a transmis un message très clair au lieutenant de M. Dion, le député Marcel Proulx: le chef doit s’entourer de francophones, ça presse! La langue n’est pas le seul critère, d’ailleurs. Il faut, insiste l’aile québécoise, que le chef s’entoure de conseillers capables de rebrancher le Parti libéral sur les vraies préoccupations des Québécois.
Pour comprendre la cassure entre Stéphane Dion et son parti au Québec, il faut retourner en octobre dernier, quand le PLC-Q avait adopté, dans une assemblée houleuse en plein milieu de la course à la direction, une résolution reconnaissant la nation québécoise.
Prétextant que cette initiative risquait de réveiller les vieux monstres constitutionnels, M. Dion s’y était opposé, provoquant un affrontement épique avec les militants et les organisateurs libéraux du Québec. En fait, M. Dion avait surtout compris que son opposition à ce concept défendu par son adversaire Michael Ignatieff serait payante chez les libéraux du reste du pays.
Pourtant, M. Dion avait déclaré, quelques années plus tôt, être d’accord avec la reconnaissance d’une nation québécoise au sein du Canada.
La suite des choses allait lui donner raison. M. Dion a effectivement gagné la course et, dès lors, les tenants de la nation ont été tassés dans un coin; ce fut le cas de Marc Garneau, injustement désigné par le clan Dion comme le principal responsable de l’opération nation. Les incidents de ce jour d’octobre ont laissé de lourdes traces.
«Le PLC est en train de devenir insignifiant au Québec; nous sommes complètement déconnectés et nous risquons l’extinction pure et simple si nous ne réagissons pas», affirme un stratège proche de M. Dion.
Dans le caucus, les députés du Québec redoutent déjà la réaction de leur chef si le premier ministre Harper, dans son discours du Trône, va de l’avant avec sa promesse de limiter le pouvoir fédéral de dépenser. On sait que M. Dion n’est pas chaud à cette idée. Or, un rejet de cette initiative par les libéraux ne ferait qu’aggraver leur situation au Québec.
Dans les circonstances, la dégelée aux partielles de lundi n’a pas étonné outre mesure le noyau dur d’organisateurs du PLC. Plusieurs d’entre eux en étaient même arrivés à la souhaiter, question de donner un électrochoc au parti et à son chef.
Stéphane Dion est directement responsable de la perte d’Outremont, disent-ils. D’abord, il lui a fallu des mois avant de choisir un candidat, laissant toute la place à Thomas Mulcair sur le terrain pendant tout l’été. Puis, il a choisi un universitaire néophyte en politique, Jocelyn Coulon, compétent en affaires internationales, certes, mais beaucoup moins en batailles électorales. On raconte chez les libéraux que Jocelyn Coulon n’était pas le meilleur candidat mais qu’il a été retenu à la suggestion de la femme de M. Dion, Janine Krieber, qui l’avait côtoyé professionnellement.
L’ancien député Martin Cauchon était prêt à reprendre du service, mais Stéphane Dion ne lui a jamais passé le coup fil attendu. Trop peur de la concurrence et des vieilles guerres intestines. Des fidèles de Dion accusent d’ailleurs à mots couverts les partisans de Martin Cauchon d’avoir travaillé contre Jocelyn Coulon dans Outremont.
Les libéraux pensaient bien avoir recruté l’ancien maire d’Outremont, Jérôme Unterberg, mais ils l’ont laissé filer.
À la décharge de Stéphane Dion, il faut dire qu’il est entouré d’ambitieux qui n’attendent que le moment de se lancer dans une nouvelle course à la direction, et la guerre d’Outremont n’a fait qu’attiser la paranoïa ambiante.
Quelques jours avant le vote, le candidat Coulon a rencontré à l’Université de Montréal un étudiant libéral qui lui a dit, candidement: «J’ai appuyé Ignatieff au leadership et nous avons reçu la consigne de ne pas voter libéral cette fois-ci.»
Les anciens organisateurs de Michael Ignatieff nient avoir fait quoi que ce soit pour nuire à Stéphane Dion. Au contraire, disent-ils, M. Ignatieff a même fait plusieurs appels téléphoniques pour s’assurer qu’aucun de ses partisans ne fasse du zèle.
N’empêche, des sources fiables affirment que l’organisation Ignatieff est encore là, dormante, prête à se remettre en marche. On a aussi remarqué que M. Ignatieff faisait des appels téléphoniques le printemps dernier, dans les Maritimes notamment, juste pour prendre des nouvelles des présidents d’association.
La grande désillusion

Malgré le concert de critiques envers Stéphane Dion, il est intéressant de noter (phénomène rare en politique) que personne chez les libéraux ne déteste le chef.
Au contraire, en général, on l’aime bien. C’est peut-être ça, d’ailleurs qui lui permettra de survivre jusqu’aux prochaines élections.
«Ce n’est pas un bon chef, mais ce n’est pas un mauvais gars», résume un libéral influent.
Même Michael Ignatieff, raconte-t-on, s’est surpris lui-même, l’autre jour, à commencer une phrase par «Dans le fond, je l’aime bien, Dion»…
Cela dit, l’estime, ce n’est pas suffisant pour gagner des élections. Pas suffisant non plus pour remplir les coffres du parti, comme l’a constaté ces jours-ci William Hogg, candidat libéral dans Compton-Stanstead. Il a en effet bien du mal à vendre ses places (150$ le billet) pour une balade en train et un repas en compagnie de Stéphane Dion, demain. «Un après-midi avec Stéphane Dion, ça pogne moins, même auprès des anglophones des Cantons-de-l’Est», reconnaît-il.
On sent, c’est clair, une certaine désillusion chez les libéraux du Québec ces temps-ci. Et le cynisme n’est jamais bien loin. Comme en témoigne cette boutade d’un libéral lue cette semaine dans un courriel: «Si Stéphane veut faire des shows de variétés maintenant, il pourrait aller à la Poule aux oeufs d’or; au moins, il ramasserait un peu d’argent, pour une fois.»

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